John est un cygne. Depuis des années, il vivait dans un parc au nord de Londres et faisait partie de l’aristocratie londonienne. Il supportait de plus en plus difficilement les contraintes du paraître, la suffisance de soi-même et l’avenir sans horizon. Il se sentait comme englué dans le fog si caractéristique de cette ville. Il estimait ne pas être à sa place dans cet univers. Un jour, il rencontra Jonathan, le goéland qui lui raconta son histoire. John en fut impressionné. Les jours passaient, il cru devenir fou. Il comprit que sa place était ailleurs. Il se prit à rêver d’un autre futur, un futur coloré, lumineux, prometteur où tout serait plus léger et plus simple. Un beau matin, John partit sans se retourner, en direction du sud, descendit la Tamise jusqu’à la Mer du Nord, la traversa et gagna la Méditerranée empruntant rivières et canaux français. Il y trouva le climat fort agréable et décida de s’y installer quelque temps et de faire connaissance avec les gens de la région. 
 
A Marseille, Iman, vingt ans à peine, fille de Sidi Ahmed et de Leila. Quand ses parents ont quitté l’Algérie, elle n’était qu’une enfant. Son père, fils d’un chef touareg eut envie de tenter sa chance en occident. Il rêvait d’un autre futur. Il rentrait chaque année au bled comme pour transmettre à ses enfants l’âme de son peuple, un peuple noble, digne, un peuple de princes. Iman, dont le prénom signifie « Vie » dans la langue du désert avait une démarche princière. Le port altier de sa tête lui donnait fière allure. Elle étudiait l’histoire et l’ethnologie des peuples à l’université de Marseille et se prit à rêver également d’un autre futur : devenir princesse du désert.  
 
Par un chaud crépuscule, Iman vint se baigner comme à son habitude. Elle ne put détourner son regard d’un inconnu sur le rivage, attirée par sa grâce.
 
- Hello lady, osa John enclin à faire connaissance.
- Bonjour, répondit Iman quelque peu effarouchée mais polie.
- Je me présente, mon nom est John, poursuivit-il hardi, et vous lady ?
- A qui ai-je l’honneur ? interrogea Iman avec élégance qui parlait la langue des oiseaux, la langue des signes que son père lui avait appris.
- Je viens de Londres, un pays de brouillard, précisa John.
- Mais que faîtes-vous ici ? risqua Iman.
- Je suis ici car un jour, j’ai décidé que mes rêves deviendraient réalité.
- A quoi rêvez vous ? lança Iman.
- Je rêve de lumière et de gens heureux, dit John ravi de lier un peu plus. Et vous lady, avez-vous des rêves ?
- Oui, dit Iman, depuis que j’ai 6 ans je rêve de devenir princesse, une princesse du désert et pour cela il me faut rencontrer mon prince mais ici , il y a ni prince ni désert. Mon père me dit qu’il me fera signe quand je serai prête.
- Alors quand tu l’auras rencontré, tu partiras vivre dans le désert avec lui ? tutoya John. Mais où est-ce le désert, lady ?
- Le désert, il y en a un de l’autre côté de la mer, répondit Iman avec assurance et fierté.
- Ce n’est donc pas si loin, une vingtaine de coups de palme suffiront alors ! Et dis moi, est ce que les gens sont heureux là bas ?
- Bien sûr, j’y suis déjà allée avec mon père, mes frères et mes cousins.
- Y a-t-il du soleil dans le désert ?
- Mais oui, toute l’année, c’est pour cela qu’il y a le désert, affirma Iman.
- Si je comprends bien, nous sommes tous les deux à la recherche du désert et des gens heureux, conclut John. Et si on partait à leur recherche ? dit-il enflammé.
- Oh mais, je ne pars pas avec le premier cygne venu, stoppa Iman.
- Excusez-moi lady je ne voulais pas paraître inconvenant, répondit John d’un air sérieux.
- Vous n’êtes pas inconvenant, seulement il me faut un peu de temps pour m’habituer à l’idée de partir, répondit Iman rassurée par le vouvoiement de John.
 
Le silence s’installa brusquement entre nos deux compagnons de plage. La nuit approchait. Il était temps pour Iman de rentrer.
 
- Je dois partir, à bientôt, conclut rapidement Iman.
- Comme vous voudrez, lady. Je suis désolé, j’ai été maladroit, lui répondit John avec un brin de déception dans la voix.
- Nous en reparlerons une autre fois, dit Iman, inquiète d’avoir blessé John avec sa spontanéité.
 
La dernière phrase prononcée par Iman rassura John, car il se dit qu’il y aurait une autre fois. Il se promit de revenir chaque soir dans l’espoir de revoir Iman.
 
Le lendemain, Iman retourna à l’université et retrouva ses amis. Elle se retint de leur raconter sa rencontre avec John. Elle eut envie de garder cette rencontre secrète pour elle toute seule comme pour la protéger car elle venait de dévoiler son rêve à un inconnu et pour la première fois. Les jours suivants, lorsqu’elle y pensait, elle sentait ses joues devenir rouges et chaudes et la mettait fort mal à l’aise.
 
John revint tous les soirs pendant une semaine, mais ne vit pas Iman. Pourtant la jeune fille avait dit «  Nous en reparlerons ». John se répétait cette phrase en boucle comme pour se rassurer. Il avait raison. Le samedi soir suivant, Iman réapparut et la conversation reprit comme s’ils s’étaient quittés la veille.
 
- Hello Lady Iman, comment allez-vous ?
- Hello John !
- Bonne semaine ? s’inquiéta-t-il.
- Oui très bonne, j’ai été très occupée avec les cours à l’université, s’excusa Iman. Et votre semaine ?
- J’ai beaucoup réfléchi au désert de l’autre côté de la mer.
- Et alors ? renchérit Iman désirant en savoir plus.
- Eh bien, comme je suis un peu aventurier, j’ai envie d’y aller.
- Mais pourquoi as-tu quitté ton île natale ? questionna Iman, perplexe de voir un cygne aussi avide d’autres horizons.
- L’absence de lumière, le ciel gris comme le costume des hommes d’affaires, les touristes bruyants me jetant du pain sur le dos, toujours palmer avec fière allure même quand mon cœur n’y était pas, et l’avenir aussi gris que le ciel et les costumes, énuméra John.
- Je comprends, dit Iman en réfléchissant. Cela a suffi pour partir vers l’inconnu, l’incertitude. Mais dans le désert, tu ne pourras y vivre car il te faut un lac pour nager tous les jours, répondit prestement Iman qui ne s’imaginait pas débarquer dans le désert avec un cygne.
- Oh mais je me contenterai d’une marre, répondit John qui cherchait à minimiser son besoin d’eau pour son activité physique quotidienne.
- Il n’y a même pas de marre dans le désert, insista Iman embêtée d’avoir laissé aller la conversation si loin.
- Je me suis renseigné, il y a des oasis, des sources dans le désert, affirma John.
- Et vous Iman, pourquoi partir alors que vous faîtes des études qui vous promettent  un beau métier.
- Oui je sais ! Mon père souhaite que je termine mes études avant de rêver.
- Et seront-elles encore longues ? interrogea John qui aurait bien aimé avoir un guide pour être présenté aux gens de là-bas. John savait bien que cela facilitait les relations. Il le savait de sa vie londonienne…
- Encore un an, peut-être plus, dit Iman sans enthousiasme.
- Aimez-vous vos études ?
- Oui cela m’intéresse beaucoup mais le désert me manque, l’immensité et le silence aussi.
- Y a –t-il des universités dans le désert ?
- Oui, mais l’ethnologie n’y est pas enseignée, il me faudrait étudier à Alger. Et vous John, pourquoi le désert ? retourna Iman pour qui la conversation à son sujet devenait difficile.
- Eh bien, je ressens comme une attirance par ces terres que tu m’as décrites, je ne sais pas comment t’expliquer….euh… il y a quelque chose en moi qui me tire les ailes, tutoya John de nouveau.
- Mais, je n’ai jamais vu de cygne là-bas.
- Cette semaine, j’ai pensé que peut-être mes lointains ancêtres y avaient vécu ou même que mes parents s’y sont rencontrés en faisant une halte lors des migrations de l’automne, continua John qui suivait son idée.
- C’est une jolie histoire et tu me parais bien sur de toi. Tu as confiance en l’avenir, en tes aspirations. Tu es libre, toi, dit elle d’une voix tremblante d’admiration et d’envie, ne se voyant pas partir sans le consentement de son père avant la fin de ses études. 
- Toi aussi Iman, tu es une femme libre, apostropha John.
- C’est toi qui le dis. Mon père est d’accord que je parte quand j’aurai fini mes études.
- Et toi pourquoi revenir au pays de ta naissance ?
- Justement c’est le pays de ma naissance. Il est beau, on y vit l’essentiel… sans superficialité, les gens sont simples et dignes.
- Je comprends, ce sont de belles valeurs. Elles me touchent, répondit John tout ému.
- Je dois partir, dit doucement Iman comme si elle avait envie de prolonger le moment agréable d’échange.
- Tu reviendras ? Dit John, des trémolos dans la voix.
- Oui, la semaine prochaine, la date de mes examens approche et il faut que je les prépare sérieusement.
- Tu as raison, répondit John d’un ton encourageant.
- A bientôt John. cria Iman en s’éloignant et en faisant signe de la main.
- A bientôt belle princesse… dit John tendrement.
 
Les semaines passèrent, John n’avait qu’une idée en tête, la recherche d’une solution pour qu’Iman puisse partir en Algérie avec l’assentiment de son père à la rentrée universitaire prochaine. Un matin, il se décida : Il sortit de l’eau et avança gaillardement dans la ville en quête d’informations facilitant les échanges universitaires. Il se rendit directement à l’université. Alors qu’il circulait dans les couloirs en regardant les panneaux d’informations, il surprit une conversation entre deux étudiants désireux de partir à l’étranger poursuivre leurs études. Il écouta longuement sans se faire remarquer et comprit que partir étudier à l’étranger était tout à fait possible.
 
De son côté, Iman travaillait de son mieux pour elle bien sûr et la fierté de ses parents.
 
Comme à leur habitude, Iman et John se retrouvaient sur la plage et un soir John annonça tout à trac.
 
- J’ai une idée, dit John plein d’enthousiasme. Tu pourrais finir tes études à Alger par le système Erasmus puis tes études terminées, tu pourras proposer d’enseigner l’ethnologie à l’université du désert. Qu’en penses-tu belle princesse ?
-  Erasmus comment connais-tu cela ? répondit Iman, intriguée.
- Je me suis renseigné et j’ai entendu parler de ce système universitaire, dit John volontairement un peu mystérieux mais dont le sens de l’organisation s’affichait clairement.
- Mais ce système n’existe que pour les universités européennes et l’Algérie n’est pas un pays d’Europe, expliqua Iman.
- Zut alors, moi qui croyais avoir trouvé La solution. John s’interrompt et réfléchit quelques minutes et dit : Peut-être que tu pourrais aller voir un enseignant de l’université et proposer une étude du peuple touareg d’aujourd’hui ainsi tu pourrais partir de suite et la reconnaissance de ton travail te permettrait d’obtenir une bourse pour étudier là-bas et y rester jusqu’à la fin de tes études.
- Mais, je ne connais pas les professeurs et puis je n’étudie pas ce peuple.
- Bernard Shaw un auteur anglais, a dit un jour « Celui qui arrive à quelque chose dans ce monde est celui qui se lève et cherche les circonstances qu'il désire et qui s'il ne les trouve pas, les crée". Et après un long silence, John, la tête déjà en Algérie se tourna vers la jeune fille : « Qu’en penses-tu, toi Iman ».
 
Iman n’en croyait pas ses oreilles. Un cygne plein d’imagination, d’enthousiasme et de créativité, de répartie et de confiance, elle n’avait jamais vu. Elle était sans voix.
 
- Pense à monter ton projet, rajouta John avec insistance en voyant s’éloigner Iman.
- J’ai déjà rassemblé tous les documents, mais faire cela en cachette de mes parents m’est très difficile.
- Je comprends, tu leur diras quand tu auras la réponse favorable. Omettre de dire quand on n’est pas certain n’est pas mentir, précisa John.
 
Les semaines d’examens passèrent et Iman révisait avec assiduité et sérieux. Elle vint chaque dimanche soir sur la plage rencontrer son ami. Tout en nageant, elle conversait et échafaudait son projet, soutenue par John qui s’émerveillait de la joie et de l’épanouissement d’Iman. Un jour elle osa demander à John.
 
- Dis moi, John, que feras-tu là bas, que feras-tu de tes journées ? Ne te lasseras tu pas de palmer sur la plage ou entre les bateaux…
 - Ne t’inquiète pas, j’ai mon idée sur ma reconversion…
- Ta reconversion ? mais que veux-tu dire ?
- Un autre lieu, une autre vie. répondit John mystérieux. 
- Tu en as trop dit.
- Je te raconterai cela bientôt, je ne peux pas t’en dire plus pour l’heure, j’attends des informations plus précises.
- Tu connais mes projets, mes désirs, mes rêves même et je suis ta meilleure amie…et tu ne veux rien me dire, dit Iman déçue.
- C’est vrai mais je ne veux pas nous donner de faux espoirs, termina John.
 
Une connivence profonde s’installait entre nos deux amis. John pour la première fois utilisa le « nous » pour parler de leurs projets. Iman voulu lui signifier qu’elle était là, forte et capable d’être à ses côtés, comme lui l’était à ses côtés. John voulait lui faire une sorte de surprise comme pour donner encore plus de valeur à leur aventure.
 
Deux jours plus tard, Iman vint annoncer à John sa réussite. Iman était licenciée en histoire et ethnologie. Elle était heureuse car ses efforts étaient récompensés. Elle l’était aussi pour tous ceux qui l’avaient soutenu et encouragé, ses parents, ses amis et John en particulier. Elle le remercia d’une façon spéciale et lui annonça toute émue que son professeur d’ethnologie venait de lui confier la mission d’aller étudier le peuple touareg. John en fut lui aussi tout ému et fier car il savait qu’il y était pour quelque chose. Un long silence s’installa entre nos deux amis. Leurs regards profonds ne pouvaient se détacher l’un de l’autre. Pas besoin de mots…
 
Et c’est ainsi que par un beau matin, Iman, un sac sur le dos quitta la maison familiale pour rejoindre John sur le port. Sur le quai ses parents agitaient leurs mains en signe d’au revoir. Elle chevaucha John et tous deux s’envolèrent dans les bras du vent.

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